L’expropriation d’une construction édifiée illégalement ne donne lieu à aucune indemnité, même lorsque toute action en démolition est prescrite.
1°) Seul un droit juridiquement protégé peut donner lieu à indemnisation
Il ressort de l’article L. 321-1 du Code de l’expropriation que les indemnités allouées par le juge de l’expropriation « couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation ».
Cependant, il est jugé que seul peut être indemnisé le préjudice reposant sur un droit juridiquement protégé au jour de l'expropriation (3e Civ., 3 décembre 1975, pourvoi n° 75-70.061, Bull. n° 361 ; 3e Civ., 8 juin 2010, pourvoi n° 09-15.183 ; 3e Civ., 11 janvier 2023, pourvoi n° 21-23.792, publié).
Par conséquent, comme l’indique logiquement la Cour de cassation dans la décision commentée ici du 15 février 2024, la dépossession d'une construction édifiée irrégulièrement et située sur une parcelle inconstructible, n'ouvre pas droit à indemnisation.
La réalisation d’une construction sans autorisation constitue en effet un délit, ainsi qu’il ressort de l’article L. 480-4 du Code de l’urbanisme. Des travaux réalisés sans autorisation peuvent aussi donner lieu à une action civile, soit par un tiers y ayant intérêt dans les conditions du droit commun, soit à l’initiative de la personne publique compétente en matière de PLU, conformément à l’article L. 480-14 du Code de l’urbanisme.
Toutefois, en droit de l’urbanisme, comme dans d’autres domaines, le passage du temps entraine l’application de délais de prescriptions permettant d’éviter que l’auteur ou le bénéficiaire des travaux ne soit indéfiniment inquiété.
La question de l’existence d’un droit juridiquement protégé est beaucoup délicate lorsque ces prescriptions sont acquises.
2°) Absence d’incidence de la prescription de l’action en démolition
L’action pénale se prescrit par 6 ans, comme pour tout délit (article 8 du Code de procédure pénale).
En ce qui concerne l’action civile, il faut distinguer deux cas :
L’action des tiers classiques, qui se prescrit dans le délai de droit commun de 5 ans (article 2224 du Code civil) ;
L’action de la personne publique compétente en matière de PLU, qui se prescrit par 10 ans (article L. 480-14 du Code de l’urbanisme).
Dans l’affaire commentée ici, ces délais étaient écoulés.
Cependant, la Cour de cassation a estimé que cette circonstance était insusceptible de faire naître un droit protégé au profit de l’exproprié.
Ce n’était pas évident et les conséquences pratiques sont considérables : une construction édifiée illégalement pourra être expropriée sans indemnité, sans aucune limite de temps, alors même qu’aucun juge ne peut plus décider de sa démolition.
Une nuance pourrait toutefois être tirée de la rédaction des motifs de la décision commentée, qui prennent soin de rappeler qu’il s’agissait d’un terrain inconstructible, c’est-à-dire d’une construction qui ne pouvait être régularisée.
On peut donc en déduire, bien que ce soit à confirmer et à préciser, qu’une construction édifiée illégalement mais susceptible d’être régularisée par l’obtention d’une autorisation urbanisme, pourrait donner lieu à indemnisation.
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