![](https://static.wixstatic.com/media/69a86e_c4e4ed40c4334f22beeafef25420fd39~mv2.png/v1/fill/w_980,h_415,al_c,q_90,usm_0.66_1.00_0.01,enc_auto/69a86e_c4e4ed40c4334f22beeafef25420fd39~mv2.png)
L’article L. 213-2 du Code de l’urbanisme enferme l’exercice du droit de préemption urbain (ci-après DPU) dans un délai de deux mois à compter de la réception de la déclaration d’intention d’aliéner (ci-après DIA).
Par un arrêt en date du 28 juin 2024 (req. n°24NT00061), la Cour administrative d’appel de Nantes a confirmé que la méconnaissance de ce délai constituait un vice de légalité interne (1°). Cette solution ne constitue pas seulement un apport théorique, mais a au contraire des implications bien concrètes sur le contentieux du DPU (2°).
1°) La justification de la qualification de vice de légalité interne
La qualification retenue par la Cour administrative d’appel de Nantes peut sembler contre-instinctive.
Dans d’autres situations, le juge administratif a en effet considéré que la méconnaissance d’un délai par l’autorité administrative constituait un vice de procédure et se rattachait donc à la légalité externe.
Tel est le cas de la méconnaissance d’un délai d’un mois par le préfet pour demander des renseignements complémentaires en matière d’autorisation de création ou extension d’établissements sociaux et médico-sociaux (CE Sect. 30 octobre 1998, Ep. Czekaj, req. n°155137).
Il en va de même du respect du délai de convocation des conseillers municipaux prévu par l’article L. 2121-12 du Code général des collectivités territoriales (CE, 3 octobre 2003, communauté de communes du Val de Drôme, req. n°250825).
Plus récemment, le Conseil d’Etat a classé au sein de la légalité externe, le moyen tiré de la méconnaissance du délai au sein du duquel doit être organisée une enquête publique relative à un projet qui a déjà fait l’objet d’un débat public en application de l’article L. 121-8 du Code de l’environnement (CE, 2 février 2024, Association Alerte LGV sur Thau et autres, req. n°473429).
Mais, selon Cour administrative d’appel de Nantes dans l’arrêt commenté, ce n’est pas ainsi qu’il faut considérer le délai encadrant l’adoption d’une décision de préemption : il s’agit d’un vice de légalité interne.
Il semble que le Conseil d’Etat ne se soit pas prononcé sur ce point précis. Toutefois, un autre juge du fond avait déjà retenu la même qualification.
La Cour administrative d’appel de Versailles a en effet jugé : « en l'absence de réception de la décision de préemption par le propriétaire intéressé ou par son mandataire et le représentant de l'Etat dans le délai de deux mois, à la suite respectivement de sa notification et de sa transmission, naît une décision de renonciation à l'exercice du droit de préemption urbain qui est créatrice de droits et insusceptible d'être légalement retirée ; que l'autorité administrative compétente est alors dessaisie du pouvoir d'exercer à nouveau ce droit pour le même objet à peine d'entacher sa décision d'un vice constitutif d'une erreur de droit qui affecte la légalité interne de la décision notifiée ou transmise tardivement » (CAA Versailles, 18 nov. 2010, req. n°09VE01553).
Ce raisonnement est conforme à lettre de l’article L. 213-2 selon lequel « Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption ». La renonciation à l’exercice d’un droit implique nécessairement qu’il existe une décision en ce sens.
Il est également conforme à la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle l’autorité administrative est dessaisie du pouvoir d’exercer le droit de préemption après y avoir renoncé (CE, 12 novembre 2009, req. n°327451).
2°) Les conséquences de la qualification de vice de légalité interne
Deux conséquences principales résultent de la qualification de vice de légalité interne.
La première se rapporte à la notion de cause juridique. A l’expiration du délai de recours contentieux, le requérant ne peut soulever que des moyens qui se rattachent à une cause juridique qui figure dans sa requête (CE, 20 février 1953, Intercopie, req. n°9772). En contentieux de l’excès de pouvoir, les deux causes juridiques sont la légalité externe et la légalité interne.
Par conséquent, si le moyen tiré de la méconnaissance du délai de deux mois de l’article L. 213-2 est soulevé dans le délai de recours contentieux, d’autres moyens relevant de la légalité interne (par exemple : erreur de droit, violation de la loi, erreur de fait, qualification juridique des faits, détournement de pouvoir) pourront ensuite être présentés au juge.
En revanche, si aucun moyen de légalité interne n’est soulevé dans le délai de recours contentieux, le moyen tiré de la méconnaissance du délai de l’article L. 213-2 sera irrecevable. La configuration que l’on peut imaginer est celle dans lequel le moyen très courant tiré du défaut de motivation de la décision de préemption est soulevé dans la requête. Puisqu’il s’agit d’un moyen de forme, qui se rapporte donc à la légalité externe, il ne permettra pas de soulever ultérieurement le moyen tiré de la méconnaissance du délai de l’article L. 213-2.
La deuxième conséquence se rapporte à l’application de la jurisprudence « Danthony » (CE Ass., 23 novembre 2011, req. n°335033). Il est à peine besoin de rappeler l’apport de cette décision essentielle selon laquelle « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie ».
Puisque la méconnaissance du délai de l’article L. 213-2 est un vice de légalité interne et non de légalité externe, il faut en déduire qu’elle ne peut être considérée comme un vice de forme ou de procédure.
Selon l’expression très évocatrice employée par Mme le Rapporteur public Mme Martine Kermorgant sous l’arrêt précité de la Cours administrative d’appel de Versailles du 18 novembre 2010, ce motif d'illégalité « ne met pas en cause la façon dont la décision a été prise », mais il « touche à sa substance même » (AJDA 2011 p. 916).
Ce vice n’est donc pas « Danthonysable ».
Comments