Par une décision du 29 mai 2024, mentionnée aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a apporté d’importantes précisions sur le rôle du juge administratif lorsqu’il doit s’assurer qu’une régularisation d’une déclaration d’utilité publique (DUP) est possible.
Selon le Conseil d’Etat, le juge administratif ne peut se borner à rechercher si les insuffisances entachant le dossier d'enquête publique étaient déjà corrigées à la date de son jugement ou de son arrêt. Il doit en revanche vérifier si, dans le délai d'une mesure de régularisation, ces insuffisances peuvent être corrigées (1°).
La haute juridiction complète cette approche en expliquant la manière dont un moyen relatif à l’utilité publique doit être traité lorsqu’une telle régularisation est mise en œuvre (2°).
1°) La vérification par le juge des conditions de régularisation d’un dossier d’enquête publique
Le régime de la régularisation des DUP résulte d’une décision du Conseil d’Etat du 9 juillet 2021, commune de Grabels (req. n°437634). Il en ressort qu’après avoir constaté d’une part, qu’une illégalité entachant l'élaboration ou la modification de cet acte est susceptible d'être régularisée et d’autre part, que les autres moyens ne sont pas fondés, le juge administratif peut « après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si la régularisation intervient dans le délai fixé, elle est notifiée au juge, qui statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ».
Dans l’affaire commentée ici, le recours portait sur un arrêté du préfet du Val-d'Oise déclarant d'utilité publique le projet de réalisation de la section Est de l'avenue du Parisis, entre la route départementale 301 à Groslay et la route départementale 84 A à Bonneuil-en-France.
Selon la Cour administrative d’appel de Versailles, l'étude économique et sociale jointe au dossier d'enquête publique était entachée d'insuffisances s'agissant des modalités de financement du projet, ce qui avait eu pour effet de nuire à l'information complète de la population pendant l’enquête publique préalable à la DUP.
Ce vice présente un lien avec l’élaboration de la DUP, mais la Cour avait jugé qu’il n’y avait pas lieu de procéder à une mesure de régularisation, au motif qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que les modalités de financement du projet étaient évaluées avec une précision suffisante à la date de son arrêt.
C’est-à-dire qu’il aurait fallu que l’insuffisance du dossier ait été corrigée avant que le juge ne décide de sursoir à statuer pour permettre ensuite la mise en œuvre d'une information et participation du public, suivie d’un nouvel arrêté confirmant l’utilité publique. Ce raisonnement peut se comprendre si l’on considère que l’insuffisance de l’étude ne touchait pas seulement la procédure, mais également l’appréciation de l’utilité publique, de sorte que la régularisation envisagée aurait dépassé le cadre de l’élaboration ou la modification de la DUP.
Mais ce n’est pas la solution retenue par le Conseil d’Etat. Celui-ci considère en effet que la Cour :
ne pouvait se borner à rechercher si les insuffisances entachant le dossier d'enquête publique étaient déjà corrigées à la date de son arrêt, de telle sorte que seule l'intervention d'une décision valant mesure de régularisation serait le cas échéant demeurée nécessaire,
devait examiner si, au vu des éléments versés à l'instruction, ces insuffisances pouvaient être corrigées dans le délai d'une mesure de régularisation.
Le Conseil d’Etat a donc adopté une position souple quant au champ d’application de la régularisation. Il restait néanmoins à déterminer la manière dont une telle solution pouvait être combinée avec l’examen du moyen relatif au défaut d’utilité publique du projet.
2°) Le traitement du moyen relatif à l’utilité publique en cas de régularisation du dossier d’enquête publique
Comme indiqué dans la première partie de la présente étude, le processus de régularisation d’une illégalité implique qu’avant de sursoir à statuer, le juge ait constaté que les autres moyens ne sont pas fondés.
On peut donc s’interroger sur la manière dont cette constatation doit être effectuée lorsque la régularisation conduit l’autorité compétente à modifier ou compléter un document indispensable à l’appréciation de l’utilité publique de l’opération.
Si le document modifié ou complété est réalisé pendant l’instance, avant que le juge ne statue sur une possible régularisation, il lui suffit de constater qu’au vu de cette pièce le moyen tiré du défaut d’utilité publique doit être écarté.
Mais lorsque, comme en l’espèce, ce document doit être élaboré après le sursis à statuer, cette constatation devient impossible.
La jurisprudence antérieure laissait d’ailleurs peu de place à une analyse différente, puisque le Conseil d’Etat avait jugé qu’après la décision prononçant le sursis à statuer, seuls des moyens dirigés contre la mesure de régularisation, pouvaient être invoqués (CE, 21 juillet 2022, req. n° 437634).
Il avait ainsi été jugé que les parties ne pouvaient soulever aucun autre moyen, qu'il s'agisse d'un moyen déjà écarté par la décision avant dire droit ou de moyens nouveaux, à l'exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation.
Il en résultait qu’en pratique, le processus de régularisation n’était engagé qu’après que le moyen tiré du défaut d’utilité publique ait été écarté dans le jugement avant dire droit (par exemple : CAA Toulouse, 12 octobre 2023, req. n° 21TL04595).
Le Conseil d’Etat répond à cette difficulté par une solution simple, bien qu’elle soit quelque peu inattendue, en décidant « de réserver l'examen du moyen tiré de l'erreur d'appréciation dont serait entaché l'acte attaqué s'agissant de l'utilité publique du projet ».
Ce moyen ne sera donc pas examiné au stade du jugement avant dire droit, mais après la mise en œuvre de la procédure de régularisation, lorsque l’instance aura repris.
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