Une partie de l’équilibre du droit de l’expropriation repose sur le principe selon lequel les biens ne peuvent faire l’objet d’un transfert forcé qu’en vue de la réalisation d’un projet d’intérêt public.
C’est donc logiquement que les expropriés disposent d’un droit de rétrocession lorsque le bien n’a pas reçu la destination prévue, encadré par le code de l’expropriation (1°).
Lorsque ce droit de rétrocession ne peut être exercé, les expropriés peuvent à certaines conditions, solliciter une indemnité. Ces conditions sont appliquées strictement, comme l’a montré un arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 2024 (2°).
1°) L’encadrement général du droit de rétrocession
Il faut rappeler qu’en principe l’expropriation comprend une phase administrative dont l’un des points essentiels est la déclaration d’utilité publique (DUP) prononcée à l’issue d’une enquête publique (article L.1 du Code de l’expropriation).
La phase administrative se caractérise aussi par l’adoption d’un acte administratif déclarant cessibles les parcelles ou les droits réels immobiliers dont l'expropriation est nécessaire à la réalisation de l'opération d'utilité publique (article L. 132-1 du Code de l’expropriation).
La phase judiciaire comprend d’une part, l’adoption d’une ordonnance d’expropriation portant transfert de propriété (article L. 220-1 du même code) et d’autre part, la fixation par le juge de l’expropriation de l’indemnité due aux propriétaires expropriés, si les parties ne sont pas parvenues à se mettre d’accord (articles L. 321-1 et L. 321-2 du même code).
Le fondement du droit de rétrocession se trouve à l’article L. 421-1 du Code de l’expropriation :
« Si les immeubles expropriés n'ont pas reçu, dans le délai de cinq ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d'utilité publique ».
Ces dispositions fixent deux conditions essentielles :
A l’issue d’un délai de 5 ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, le bien exproprié n’a pas reçu la destination prévue dans la DUP, ou a cessé de la recevoir ;
La demande de rétrocession doit avoir été effectuée pendant un délai 30 ans à compter de l’ordonnance précitée, à moins qu’une nouvelle DUP n’ai été requise auprès du préfet.
Cela étant précisé, la Cour de cassation a défini de manière prétorienne, les conditions dans lesquelles il était possible de solliciter non pas la rétrocession du bien exproprié mais une indemnité.
2°) L’indemnité pouvant être sollicitée en cas d’impossibilité d’exercer le droit de rétrocession
Par un arrêt en date du 12 février 2014 (n°13-14.180), la Cour de cassation avait considéré que la conservation dans le patrimoine de l’expropriant de parcelles expropriée pendant plus de vingt ans sans leur donner l'affectation prévue et sans justifier d'une raison légitime résultant de l'utilité publique, avait indûment privé les expropriés de la plus-value sur ces biens.
Par conséquent sauf à méconnaître l’article 1er du protocole additionnel de la convention européenne des droits de l’homme, il avait été admis que les expropriés pouvaient dans ce cas solliciter une indemnité, alors même qu’aucun juge ne s’était prononcé sur l’exercice du droit de rétrocession.
La fenêtre de tir ainsi ouverte s’est ensuite largement refermée. La Cour de cassation a en effet considéré que l'exproprié n'ayant pas exercé l'action en rétrocession qui lui était ouverte, dans les délais et les conditions prévus par la loi, ne disposait pas d'une action en indemnisation de la privation de la plus-value, dès lors que, en raison de sa propre inaction, il n'a subi aucune charge excessive (Cass., 3e Civ., 19 mars 2020, pourvoi n°19-13.648, publié).
Il apparaissait donc qu’une indemnisation ne pourrait plus être obtenue que lorsque le droit de rétrocession n’avait pu être exercé par exemple lorsque le bien a été cédé à un tiers.
Enfin, la Cour de cassation vient de juger, par un arrêt en date du 23 mai 2024 (22-24.183), qu’il en va de même, lorsqu’une demande amiable a été exercée par les expropriés et s’est heurtée à un refus sans que les expropriés n’exercent ensuite une action judiciaire afin d’obtenir la rétrocession.
C’est une position assez rigoureuse car il est raisonnable de penser que bien des expropriés hésiteront à entrer dans un conflit avec l’expropriant qui aura clairement manifesté son refus de faire droit aux demandes des expropriés et cela quel que doit le bien-fondé de leurs demandes.
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