Les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (ci-après SAFER), disposent d’un droit de préemption fondé sur l’article L. 143-1 du Code rural et de la pêche maritime (ci-après CRPM).
Le contentieux des décisions des SAFER obéit à un régime procédural très particulier relevant de la compétence du juge judiciaire (1°). Le contrôle ainsi opéré est limité, comme le montre la décision commentée ici de la Cour d’appel de Nîmes, du 11 avril 2024 (2°).
1°) Le régime procédural particulier du contentieux des décisions de préemption des SAFER
Le contentieux des décisions de préemption des personnes publiques ou des personnes privées compétentes pour exercer le droit de préemption urbain relève principe du contentieux administratif.
Un recours pour excès de pouvoir peut donc être effectué pendant un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, devant le Tribunal administratif (par exemple : CE, 16 déc. 1994, req. n°116465 pour la décision d’une personne publique ; CE, 24 mai 2017, SONADEV, req. n°397197 pour la décision d’une personne privée).
Pour les décisions de préemption des SAFER sur les biens immobiliers à usage ou à vocation agricole, il en va tout autrement.
Ce contentieux relève en première instance du Tribunal judiciaire du lieu de situation du bien préempté (article R. 143-7 du CRPM), de sorte qu’il faut procéder par assignation.
Il ressort par ailleurs, de l’article L. 143-13 du CRPM, que la contestation des décisions de préemption doit être exercée devant le juge judiciaire et dans « un délai de six mois à compter du jour où ces décisions motivées ont été rendues publiques ».
Le contrôle opéré par le juge judiciaire est strictement limité.
2°) Le contrôle limité du juge judiciaire sur les décisions de préemptions des SAFER
Les moyens soulevés par les requérants se concentrent essentiellement sur le respect des dispositions des articles L. 143-2 et L. 143-3 du CRPM.
L’article L. 143-2 définit les objectifs en vue desquels le droit de préemption est exercé. On y trouve notamment :
« 1° L'installation, la réinstallation ou le maintien des agriculteurs ;
2° La consolidation d'exploitations afin de permettre à celles-ci d'atteindre une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles et l'amélioration de la répartition parcellaire des exploitations existantes ».
L’article L. 143-3 oblige quant à lui les SAFER à motiver leurs décisions au regard de ces objectifs.
Dans l’affaire commentée ici, la décision de préemption contestée mentionnait le 2° de l’article L. 142-2 précité et indiquait :
« L'intervention de la Safer permettrait d'analyser et d'arbitrer entre les différents projets agricoles susceptibles de se réaliser sur ce bien et ainsi de répondre aux demandes de restructuration parcellaire et de consolidation des exploitations agricoles existantes, tout en garantissant un usage conforme aux règles d'urbanisme.
On peut d'ores et déjà citer l'intérêt d'une exploitation agricole conduite sous forme sociétaire orientée en polyculture d'une superficie de 28 ha 84 ca soit 0.99 seuil de référence. L'adjonction de cette parcelle contiguë à un des ilots d'exploitation lui permettrait de restructurer son parcellaire et de se consolider facilitant ainsi ses conditions d'exploitation ».
Mais, comme le rappelle la Cour d’appel, le contrôle du juge ne porte pas sur l’opportunité des décisions de préemption, de sorte qu’il est inutile de contester la pertinence de l’objectif mentionné dans la motivation ou de l’intérêt de la préemption pour une ou plusieurs exploitations relevant de la compétence de la SAFER.
La Cour de cassation s’est déjà prononcée en ce sens (Cass, 2e civ. 18 mai 2005 n°03-21.187).
Par ailleurs, la Cour d’appel juge que la motivation peut comporter, comme en l’espèce, un exemple d’exploitation pour laquelle la décision de préemption pourrait être pertinente, alors qu’il n’est pas certain que cette exploitation bénéficie, finalement du terrain acquis par la SAFER.
Cette forme de motivation, qui tient en quelques lignes, est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui juge : « tout en fournissant des données concrètes sur les exploitants susceptibles de bénéficier de sa décision pour répondre aux exigences de la loi, la SAFER qui n'avait pas procédé à la rétrocession, rappelait que les orientations envisagées n'étaient pas définitives et que d'autres candidatures étaient susceptibles de se manifester » (Cass. 3e civ., 9 déc. 2008, n° 07-22.013).
C’est donc logiquement que le moyen soulevé par le demandeur a été rejeté par la Cour d’appel de Nîmes.
Il est intéressant de noter qu’en l’état du droit, le contrôle du juge administratif parait bien plus poussé, puisqu’il exige que la démonstration de la réalité du projet en vue duquel la décision est adoptée (CE, 7 mars 2008, Commune de Meung-sur-Loire, req. n°288371), vérifie que la décision de préemption permet, dans le contexte factuel et juridique de l’affaire, d’atteindre l’objectif ainsi recherché (CE, 19 avril 2022, commune de Mandelieu-la-Napoule, req. n°442150) et s’assurer qu’elle répond à un intérêt général suffisant (CE, 7 janvier 2013, Commune de Montreuil, req. n°357230).
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