Selon la Cour administrative d’appel de Versailles, l’utilité publique d’un projet industriel et commercial ne se mesure pas uniquement à la lumière de sa rentabilité économique, car celle-ci n'intègre pas ses bénéfices qualitatifs.
1°) La rentabilité érigée en élément d’appréciation de l’utilité publique
Les trois temps du contrôle du juge sur l’utilité publique d’un projet dans le cadre d’une expropriation, sont désormais stabilisés et connus (CE, 19 oct. 2012, Commune de Levallois-Perret, req. n° 343070). Le juge administratif doit s’assurer :
que l’opération répond à une finalité d'intérêt général ;
que l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation, notamment en utilisant des biens se trouvant dans son patrimoine ;
que les atteintes à la propriété privée, le coût financier, les inconvénients d'ordre social ou économique et la mise en cause de la protection et de la valorisation de l'environnement, et l'atteinte éventuelle à d'autres intérêts publics que comporte l'opération ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente.
Il ne faut pas se laisser impressionner par cette structure d’analyse : les annulations fondées sur une absence d’utilité publique sont rares.
Le dernier élément du raisonnement est particulièrement difficile à appréhender, car il n’existe pas de liste exhaustive d’avantages et inconvénients à comparer.
En matière d’infrastructures de transport, il est admis depuis quelques années que la rentabilité économique est un élément d’appréciation. C’est ainsi que le Conseil d’Etat a annulé un décret déclarant d'utilité publique les travaux nécessaires à la réalisation de la ligne à grande vitesse " Poitiers-Limoges " au motif notamment que « l'évaluation de la rentabilité économique et sociale du projet est inférieure au niveau habituellement retenu par le Gouvernement pour apprécier si une opération peut être regardée comme utile, en principe, pour la collectivité » (CE, 15 avril 2016, req. n°387475).
Mais la Cour administrative d’appel de Versailles a rappelé dans la décision commentée ici, en date du 25 mars 2024, qu’il ne s’agit que d’un élément d’appréciation parmi d’autres.
2°) La confrontation du défaut de rentabilité aux bénéfices qualitatifs
Dans l’affaire qui nous occupe, il était question d’un arrêté déclarant d’utilité publique un projet de ligne de tramway.
L’étude d’impact indiquait que le taux de rentabilité interne (TRI) attendu était de 2 %.
Selon les requérants, ce taux de rentabilité était insuffisant.
La Cour administrative d’appel de Versailles considère cependant que ce faible taux de rentabilité ne pouvait entrainer une annulation. Elle souligne que si ce TRI « traditionnellement utilisé notamment dans le secteur privé pour mesurer la rentabilité financière d'un projet d'investissement, paraît faible au regard de moyennes non spécifiques aux coûts observés en région parisienne, ceci n'intègre pas ses bénéfices qualitatifs en termes d'aménagement du territoire et d'impact social ».
Il ressort des motifs de l’arrêt que les bénéfices en question résultaient de de l’amélioration de la desserte, plus confortable et de meilleure qualité ainsi que du développement d’une alternative au trafic automobile. La nouvelle de tramway assurait en outre la liaison avec le réseau francilien existant.
La Cour relève également que les besoins croissants de déplacement de banlieue à banlieue étaient mieux satisfaits, des territoires étaient désenclavés, des équipements publics devenaient plus accessibles. Le projet participait aussi au développement économique.
La confrontation entre d’une part, un élément quantitatif et chiffré et d’autre part, des éléments plus subjectifs constituant des bénéfices qualitatifs divers, est difficile et les résultats semblent fort peu prévisibles.
Nous pouvons cependant retenir qu’afin de démontrer l’absence d’utilité publique d’un projet présentant un caractère industriel ou commercial, tel qu’une ligne de tramway, l’examen du TRI n’est pas suffisant. Les éventuels requérants doivent remettre en cause les avantages de toutes natures du projet déclaré d’utilité publique.
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