Il est communément admis dans le cadre du marché immobilier privé, que le passage d’une nouvelle infrastructure de transport public à proximité d’un bien, augmente mécaniquement sa valeur. En droit de l’expropriation, il n’en est rien.
La décision de la Cour d’appel de Paris du 28 mars 2024 commentée ci-après illustre cette situation.
1°) Le jeu complexe des dates déterminant les paramètres afin d’évaluer un bien
L’article L. 322-1 du Code de l’expropriation dispose que la consistance du bien est appréciée à la date de l’ordonnance portant transfert de propriété. Si une telle ordonnance n’est pas intervenue, il faut se placer à la date du jugement de première instance.
Mais ce n’est pas à cette date qu’il faut se placer pour apprécier la valeur du bien au regard du marché immobilier. Il ressort en effet de l’article L. 322-2 du même code, qu’il faut pour cela se placer à la date du jugement de première instance. Il peut donc arriver que l’on calcule l’indemnité d’expropriation au regard de termes de comparaison qui ne correspondent plus à la consistance du bien : la méthodologie à appliquer conduit alors à confronter l’état antérieur d’un bien à un marché actuel.
Ce n’est pas tout. L’usage effectif du bien et les règles d’urbanisme dont il faut tenir compte sont quant à eux appréciés à une date encore différente, appelée date de référence, située dans le passé. Il faut en principe se placer un an avant l’ouverture de l’enquête qui a précédé la déclaration d’utilité publique.
Il existe de nombreuses exceptions aux règles précitées qu’il n’est pas nécessaire de détailler ici. Nous nous arrêterons ici sur une exception particulièrement remarquable se rapporte au cas où des changements de valeur ont été subis depuis la date de référence, s'ils ont été provoqués « par l'annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée, par la perspective de modifications des règles d'utilisation des sols ou par la réalisation dans les trois années précédant l'enquête publique de travaux publics dans l'agglomération où est situé l'immeuble ».
Il s’agit d’un mécanisme de lutte contre la spéculation afin de protéger les deniers publics engagés dans un but d’intérêt général. On ne peut guère trouver de méthode d’évaluation plus éloignée du fonctionnement du marché privé, ce qui entraine bien souvent l’incompréhension des expropriés.
C’est au regard de ce régime que la Cour d’appel de Paris a pu juger dans son arrêt du 28 mars 2024, que la mise en place du tramway T4 après la date de référence, ne pouvait, en droit, être prise en compte dans la détermination de l’indemnité d’expropriation. Elle a donc informé le jugement de première instance qui avait appliqué une majoration de 10 %.
2°) L’examen des termes de comparaison
La première branche du raisonnement de la Cour d’appel de Paris était encore confortée par une deuxième approche toute différente, fondée sur l’examen de termes de comparaison.
La méthode la plus courante d’évaluation consiste en effet à déterminer la valeur d’un bien par comparaison avec des termes de comparaison.
Or, les termes de comparaison de l'autorité expropriante de septembre 2016 à juillet 2021 ne démontraient pas une évolution du marché en raison de la mise en service de la ligne du tramway T4 en 2019.
Il fallait en déduire, en tout état de cause, que la création de l’infrastructure de transport en question n’avait pas eu d’incidence.
Le raisonnement est parfaitement orthodoxe, mais il est bien loin d’établir la réalité du marché immobilier, puisque la solution retenue par la Cour est fondée sur les affirmations de la seule expropriante.
Or, il est bien rare que sur le marché privé, le prix soit exclusivement fixé par l’acheteur. Il s’agit d’une distorsion qui est peut-être imputable à la situation de faiblesse des expropriés, lorsqu’ils ne se défendent pas avec la plus grande énergie devant le juge de l’expropriation.
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